Le 30 août 1914, la retraite qui suit la bataille de Charleroi est particulièrement difficile pour l’armée française. Les unités désorganisées par le choc de la bataille, évoluent au milieu d’un flot invraisemblable de réfugiés fuyant l’avancée allemande. Le témoignage du peintre Jean-Julien Lemordant, alors sergent au 41e régiment d’infanterie, est particulièrement évocateur :
« Les routes étaient déjà encombrées de fuyards. Si ce n’était pas la débâcle, c’était pourtant quelque chose de sinistre que ce reflux de nos troupes du 10ème corps, hachées, décimées, toutes les unités confondues, vers la petite ville de Fosses qui les avait vu descendre en si bon ordre, deux jours auparavant, clairon en tête, les molles pentes du fleuve. Des hommes avaient jetés leurs armes, des compagnies n’avaient plus d’officiers ».
Autour de Guise, la situation est effroyable. Ayant abandonné sa ferme réquisitionnée par les autorités militaires pour y installer un cantonnement, Charles Ghewy, dépeint le climat de la Thiérache en feu :
« Quel tableau ! Partout dans la plaine, des soldats, des chevaux, des canons, des colonnes. Des milliers de fugitifs. Guise est évacuée depuis midi et les gendarmes font ce qu’ils peuvent pour parer au désordre. Le canon tonne, de plus en plus rapproché, pendant que le grand pont de Guise saute. Des incendies partout en direction de la vallée. On entend pleurer les enfants et se lamenter les mères. »
Pourtant, malgré les pertes effroyables, les batailles de Guise et de Saint-Quentin, sont l’objet d’une manœuvre brillamment exécutée par la Ve armée du général Lanrezac, considérée par l’historiographie comme ayant rendu possible le « miracle de la Marne » en freinant l’avancée allemande. L’historien et homme politique axonais, Gabriel Hanotaux, décrira ainsi Guise comme « le premier acte du grand drame stratégique » qu’est la première bataille de la Marne.
Entre la bataille des frontières et celle de la Marne, la bataille de Guise d’août 1914, ne semble pas être passée à la postérité comme il se doit. Souvent méconnue, elle est pourtant celle par qui le « miracle » de la Marne est arrivé, mais à quel prix ? Le Sourd nous rappelle combien cette bataille a été meurtrière, 20 000 pertes côté allemand, presque autant côté français, le bilan humain de la bataille de Guise est à l’image de ces batailles du début de la guerre, dévoreuses d’êtres humains.
Le cimetière de Le Sourd témoigne de cette hécatombe. Implanté ici par la volonté des Allemands durant la guerre, il a été pensé pour rendre hommage aux morts, non seulement allemands, mais également français. Cette fraternité dans la mort et la volonté de donner à chaque combattant une tombe individuelle, sont un symbole fort de la lueur d’humanité qui persista durant cette guerre.
Nous avons vécu durant les quatre années du Centenaire de la Grande Guerre, des moments importants et un foisonnement d’initiatives pour se souvenir ensemble. Un immense élan du souvenir dans l’Aisne qui fut couronné le 7 novembre 2018 avec la présence du Président de la République à la cérémonie du centenaire du cessez-le-feu à La Flamengrie.
Le centenaire passé, il est de notre devoir de poursuivre le travail de mémoire et de ne pas faire sombrer dans l’oubli cette page importante de notre histoire.
Il nous appartient de démontrer que la mémoire n’est pas figée mais qu’elle nous invite à mettre en valeur un patrimoine, et faire vivre nos territoires, et en transmettant aux générations futures un important message de paix. Ainsi, ce cimetière, n’évoquera plus seulement les hommes qui se sont affrontés violement il y a 100 ans, mais il demeurera comme l’un des symboles de l’amitié franco-allemande et de la paix en Europe.
Au nom du Président du Conseil départemental, Nicolas Fricoteaux et du Conseil régional des Hauts-de-France, j’ai souhaité vous rappeler ici notre engagement à veiller à ce que l’histoire et la mémoire de notre département figurent en bonne place parmi les valeurs qui nous rassemblent. Mais aussi que cette histoire et cette mémoire comptent parmi les vecteurs du développement culturel et touristique de notre département, de notre région.
Pour cela, je tiens à saluer tous ceux qui continuent d’œuvrer pour que cette cérémonie ait toujours lieu, et que l’on continue à honorer les morts des batailles de Guise et de Saint-Quentin. J’adresse en particulier mes félicitations à Monsieur le maire et au Souvenir Français, qui je le sais, entretiennent avec ardeur la mémoire des lieux.
Enfin, je terminerai en reprenant la dernière phrase de la lettre du soldat Albert Delbove blessé et fait prisonnier ici le 30 août 1914, dans sa lettre écrite depuis son lit d’hôpital :
« Chère maman, j’aime à croire que bientôt nous aurons l’immense bonheur de fêter le retour à la vie de tous et la paix des peuples ».
Voilà quel était l’espoir de ce soldat de la bataille de Guise, il s’agissait du même espoir partagé par des millions d’individus plongés dans le terrible cataclysme de la Grande Guerre. Eh bien, cet espoir de paix, c’est à nous de le faire vivre 107 ans après, contre l’oubli, pour l’éducation, pour la culture, pour la fraternité entre les peuples et pour la dignité humaine.