En mémoire des résistants
Dans le cadre du programme « Aisne, terre de mĂ©moire » la traditionnelle cĂ©rĂ©monie au Monument de la Sentinelle de Saint-Quentin a Ă©tĂ© lâoccasion de dĂ©voiler une nouvelle borne mĂ©morielle en hommage aux 27 rĂ©sistants condamnĂ©s Ă mort par la Feldkommandantur de Saint-Quentin et exĂ©cutĂ©s Ă cet emplacement le 8 avril 1944 pour « actes de franc-tireur, attentats et sabotages des voies ferrĂ©es ».
Le programme « Aisne, terre de mĂ©moire » prĂ©voit jusquâen 2027 le dĂ©ploiement de 110 bornes sur lâensemble du territoire afin de faire perdurer la mĂ©moire des hommes qui sây sont battus lors de quatre grands conflits : la campagne de France napolĂ©onienne de 1814, la Guerre franco-allemande de 1870-1871, la Grande Guerre de 1914-1918 et la Seconde Guerre mondiale de 1939-1945.
8 AVRIL 1944 LES FUSILLĂS DE LA SENTINELLE
Au dĂ©but de lâannĂ©e 1944, la rĂ©pression contre les actes de rĂ©sistance qualifiĂ©s de « terroristes » par les autoritĂ©s dâoccupation allemande se durcit toujours davantage.
Ă la suite de lâassassinat dâEmile Delhaye, maire collaborateur de Saint-Quentin, le 31 mars 1944, et pour envoyer un message politique fort Ă la population, les autoritĂ©s d’occupation allemande dĂ©cident en reprĂ©sailles de faire condamner Ă mort 30 rĂ©sistants dĂ©tenus dans la prison de la ville depuis plusieurs mois.
DES GROUPES DE RĂSISTANTS SUR LE BANC DES ACCUSĂS
Câest au 27 de la rue dâIsle, dans les locaux de la banque Journel, que le tribunal militaire allemand de la Feldkommandantur 602 de Saint-Quentin sâest rassemblĂ© afin de juger ces hommes. Le 6 avril dans la matinĂ©e, 30 prisonniers sont amenĂ©s en camions, menottĂ©s et couverts de cagoules. Parmi eux, une grande partie du dĂ©tachement 23 « Gabriel PĂ©ri », groupe « Jean Catelas » des Francs-Tireurs et Partisans Français (F.T.P.F.) de Fresnoy-le-Grand, Croix-Fonsommes et Etaves-et-Bocquiaux :
- Lucien Brunelle, né le 5 août 1921 à Fresnoy-le-Grand (Aisne), employé SNCF à Fresnoy-le-Grand.
- Fernand ClĂ©ment, nĂ© le 4 fĂ©vrier 1920 Ă Seboncourt (Aisne), employĂ© SNCF domiciliĂ© Ă Ătaves-et-Bocquiaux (Aisne).
- André Dauriol, né le 11 janvier 1924 à Wassigny (Aisne), employé SNCF domicilié à Fresnoy-le-Grand.
- Maurice Isart, né le 20 septembre 1896 à Lens (Pas-de-Calais), ancien combattant de 14-18 amputé du bras droit, garde-barriÚre à la SNCF de Fresnoy-le-Grand.
- Louis Lesur, né le 9 octobre 1894 à HombliÚres (Aisne), cantonnier auxiliaire à la SNCF de Fresnoy-le-Grand (Aisne).
- Marcel Maréchal, né le 18 octobre 1913 à Jussy (Aisne), facteur à la SNCF de Fresnoy-le-Grand (Aisne).
- Fernand Monot, nĂ© le 22 octobre 1921 Ă Ătaves-et-Bocquiaux (Aisne), garde-voie Ă la SNCF domiciliĂ© Ă Ătaves-et-Bocquiaux.
- Léon Roussel, né le 8 janvier 1921 à Guise (Aisne), employé SNCF à Fresnoy-le-Grand.
- Paul Verschoore, né le 7 juillet 1917 à Saint-Julien-Beychevelle (Gironde), garde-voie à la SNCF de Fresnoy-le-Grand (Aisne).
Actif Ă partir dâaoĂ»t 1943, ce groupe Ă©tait le bras armĂ© du rĂ©seau Musician-Tell du Special Operations Executive (S.O.E.) dirigĂ© par le commandant Gustave BiĂ©ler, alias « Guy », rĂ©ceptionnant des parachutages dâarmes et effectuant principalement des sabotages sur la voie ferrĂ©e entre Fresnoy-le-Grand et Saint-Quentin. Ainsi, en septembre-octobre 1944, le groupe fait dĂ©railler plusieurs convois de munitions et de matĂ©riels allemands, dont le plus important concerne le transfert dâune escadre aĂ©rienne de la Luftwaffe depuis la Hollande vers lâItalie. Le dĂ©raillement causera la mort de 62 soldats allemands et une centaine de blessĂ©s. Le 1er janvier 1944, ce sont vingt-neuf wagons de matĂ©riel qui dĂ©raillent lorsquâun convoi de charbon et un train de minerai entrent en collision, ce qui achĂšve dâalerter les autoritĂ©s allemandes sur la menace que fait peser ce groupe de rĂ©sistants. Au total le groupe participera Ă sept dĂ©raillements rĂ©ussis et ainsi qu’Ă quelques sabotages dâĂ©cluses sur le canal de Saint-Quentin. Mais le 13 janvier 1944, le filet de la rĂ©pression nazie se resserre quand le commandant Guy est arrĂȘtĂ© au cafĂ© du Moulin BrĂ»lĂ© Ă Omissy. Quelques jours plus tard, le 26 janvier, la plupart des membres du groupe sont arrĂȘtĂ©s au cours dâune rafle de la Sipo-SD de Saint-Quentin Ă Fonsomme, Fresnoy-le-Grand et Etaves-et-Bocquiaux. A leurs cĂŽtĂ©s se trouve aussi Roger Vanbleuy, nĂ© le 20 mars 1922 Ă Bray-Dunes (Nord), ouvrier mĂ©tallurgiste Ă Dunkerque (Nord) membre du parti communiste clandestin, qui avait Ă©tĂ© chargĂ© par lâĂ©tat-major interdĂ©partemental de la rĂ©cupĂ©ration dâarmes et du sabotage dans le secteur de Busigny (Nord), Bohain-en-Vermandois, Fresnoy-le-Grand et Vaux-Andigny, et qui avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© le 28 janvier 1944.
Numériquement, le groupe de résistants « Liberté » de Neufchùtel-sur-Aisne est ensuite le plus représenté parmi les accusés avec :
- René Bégard, né le 16 mars 1919 à Vitry-le-François (Marne). Secrétaire de mairie à Neufchùtel-sur-Aisne (Aisne).
- Paul Gillant, né le 10 mars 1910 à Fleury-sur-Aire (Meuse). Boulanger à Neufchùtel-sur-Aisne (Aisne).
- Henri Charpentier, né le 26 juin 1924 à Neufchùtel-sur-Aisne (Aisne). Quincaillier à Neufchùtel-sur-Aisne.
- René Differdange, né le 21 août 1912 à Brienne-sur-Aisne (Ardennes), ouvrier agricole à Neufchùtel-sur-Aisne (Aisne).
- Robert Dussart, né le 11 mars 1913 à Bézu-Saint-Germain (Aisne) et domicilié à Neufchùtel-sur-Aisne (Aisne).
- René Guibal, né le 16 juin 1915 à Paris (20e arr.), manouvrier à Neufchùtel-sur-Aisne (Aisne).
- Charles Liverneaux, né le 16 août 1914 à Neufchùtel-sur-Aisne (Aisne), manouvrier à Neufchùtel-sur-Aisne.
- Virgile Muteau, nĂ© le 17 aoĂ»t 1921 Ă Ăcly (Ardennes), ouvrier agricole Ă NeufchĂątel-sur-Aisne (Aisne).
Ce groupe, constituĂ© par Paul Gillant, faisait partie du rĂ©seau Ceux De La RĂ©sistance (C.D.L.R.) selon certaines sources, des F.T.P.F. selon dâautres, et Ă©tait particuliĂšrement actif Ă la jonction de lâAisne, des Ardennes et de la Marne Ă partir dâaoĂ»t 1943, se spĂ©cialisant dans le sabotage des Ă©cluses sur le canal latĂ©ral Ă lâAisne. Profitant de sa fonction de secrĂ©taire de mairie, RenĂ© Begard fournissait aussi de faux papiers aux prisonniers Ă©vadĂ©s et aux rĂ©fractaires au Service du Travail Obligatoire, tandis quâAlbert et Henri Charpentier (pĂšre et fils) facilitaient leurs Ă©vasions, constituant des dĂ©pĂŽts dâarmes jusque dans la cave de leur maison. RenĂ© Guibal, quant Ă lui, rĂ©fractaire au STO, aurait participĂ© Ă des sabotages de voies ferrĂ©es tandis que Charles Liverneaux avait participĂ© Ă plusieurs transports dâarmes et sabotages, dont lâarrĂȘt de la circulation fluviale sur le canal latĂ©ral Ă lâAisne et la destruction des cuves dâalcool de la sucrerie de Guignicourt. TraquĂ©s par la Sipo-SD et la Feldgendarmerie de Saint-Quentin, la sĂ»retĂ© du groupe est compromise le 19 fĂ©vrier 1944 avec lâarrestation de Paul Gillant. La suspicion fut depuis jetĂ©e sur lui mais rien ne permet encore Ă ce jour de savoir sâil rĂ©vĂ©la les noms de ses camarades lors de son interrogatoire. Le fait est que cinq jours plus tard, le 24 fĂ©vrier, les autres membres du groupe Ă©taient arrĂȘtĂ©s au cours dâune rafle Ă NeufchĂątel-sur-Aisne.
Viennent ensuite les membres du groupe F.T.P.F. appartenant au détachement « La Corse 22 » de Busigny (Nord), parmi lesquels on trouve les noms de :
- Edmond Desjardin, né le 17 novembre 1922 à Busigny (Nord), aide-fossoyeur à Busigny.
- Lucien Desjardin, né le 25 décembre 1920 à Busigny (Nord), fossoyeur à Busigny.
- Pierre Galiégue, né le 20 novembre 1923 à Tergnier (Aisne), chauffeur automobile à Busigny (Nord).
- Adolphe Huge, né le 15 décembre 1911 à Fourmies (Nord), graisseur à Fourmies.
- André Wannin, né le 5 avril 1914 à Fourmies (Nord), installateur de chauffage à Fourmies.
Ce groupe avait Ă©tĂ© fondĂ© par les frĂšres Desjardin et comprenait une majoritĂ© dâagents SNCF. Par leur situation, ils Ă©taient bien placĂ©s pour pratiquer certains sabotages, comme lâincendie de sept wagons de paille dans la gare de Busigny, le sabotage des voies et de locomotives ainsi que diverses actions dans le nord de lâAisne et dans les environs de Busigny, Bohain-en-Vermandois et Fourmies (rĂ©ception de parachutages, transports dâarmes, rĂ©cupĂ©ration de tickets de ravitaillement). Les 4 et 5 fĂ©vrier 1944, la Sipo-SD de Saint-Quentin dĂ©mantĂšle le groupe, dont seul un membre est dĂ©portĂ© (Edmond Degond, au camp de BrĂȘme-Farge, dont il reviendra).
On compte Ă©galement plusieurs membres du groupe F.T.P.F. « Stalingrad » de Beautor, qui avaient eux aussi participĂ© Ă de nombreuses actions contre les troupes dâoccupation : sabotages de voies ferrĂ©es, attaques de mairie afin de rĂ©cupĂ©rer des tickets dâalimentation, attentats contre des collaborateurs. Leur chef de groupe, Jean-Marie Collin, nĂ© le 20 juin 1920 Ă Inzinzac (Morbihan) chaudronnier Ă Tergnier, avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© le 28 janvier 1944 lors dâune rĂ©union clandestine aux cĂŽtĂ©s de Maurice Deffromont (nĂ© le 4 mai 1924 Ă Fargniers Aisne), dĂ©chargeur Ă la SNCF, et son frĂšre Jean (qui sera dĂ©portĂ© Ă Dachau). A leurs cĂŽtĂ©s on retrouve Ă©galement Maurice Back, nĂ© le 19 mai 1926 Ă Mohon (Ardennes). Ce dernier, manĆuvre domiciliĂ© Ă MĂ©ziĂšres (Ardennes), avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© le 31 janvier 1944 Ă Tergnier au cours dâune opĂ©ration menĂ©e par la 21e brigade de police judiciaire de Saint-Quentin et la Sipo-SD de Saint-Quentin.
En dehors de ces hommes appartenant à des groupes de résistants identifiés, on compte également plusieurs autres résistants parmi les accusés :
- Victor Audin, nĂ© le 9 octobre 1909 Ă Saint-Saulve (Nord), employĂ© aux Ateliers SNCF Ă Laon, arrĂȘtĂ© le 2 fĂ©vrier 1944.
- Albert Reghem nĂ© le 28 mai 1910 Ă TrĂ©lon (Nord), cheminot et secrĂ©taire de la CGT clandestine Ă Hirson (Aisne), arrĂȘtĂ© le 21 fĂ©vrier 1944 avec son Ă©pouse Ă leur domicile (une arme avait Ă©tĂ© dĂ©couverte chez eux et il semble avoir Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©).
- Camille Grisot, nĂ© le 8 janvier 1912 Ă Hirson (Aisne), cheminot Ă Hirson et rĂ©sistant FTPF aux cĂŽtĂ©s dâAlbert Reghem, arrĂȘtĂ© le 22 fĂ©vrier 1944.
- Lucien Sauvez, nĂ© le 28 aoĂ»t 1917 Ă Besmont (Aisne), garde-champĂȘtre Ă Iviers (Aisne) et membre du groupe OCM dâAubenton/Signy-lâAbbaye, arrĂȘtĂ© le 8 ou le 9 mars 1944 par la Sipo-SD de Saint-Quentin aprĂšs une vaste opĂ©ration dâinfiltration de son rĂ©seau.
LE JUGEMENT ET LâATTENTE
Le procĂšs qui dĂ©bute alors nâest quâune parodie de justice. Certaines sources avancent que les cercueils avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© commandĂ©s. Le dĂ©tail du procĂšs nâest Ă ce jour pas encore connu, si ce nâest le verdict : les 30 accusĂ©s sont condamnĂ©s Ă mort pour « actes de franc-tireur, attentats et sabotages de voies ferrĂ©es » aprĂšs deux jours dâaudiences. ImmĂ©diatement ramenĂ©s Ă lâ« HĂŽtel des 4 boules », les condamnĂ©s nâont alors que quelques heures devant eux. Certains Ă©crivent quelques mots Ă la hĂąte sur des morceaux de papier cachĂ©s dans les plis de leurs pantalons ou de leurs chemises, avant de jeter leur linge Ă leurs gardiens pour quâil soit remis Ă leur famille. Quelques heures avant lâexĂ©cution, un prĂȘtre passe parmi eux pour les confesser et on les autorise ensuite Ă Ă©crire une derniĂšre lettre Ă leur famille, mais celles-ci feront lâobjet dâun passage entre les mains de la censure et toute mention des mots « France » ou « Patrie » y sera retirĂ©e. Ainsi Fernand Monot, du groupe « Jean Catelas » de Fresnoy-le-Grand, laissera une lettre Ă sa famille :
« Saint-Quentin, le 8 avril 1944
TrĂšs chers parents frĂšres et sĆurs, ainsi que ma tendre fiancĂ©e et toute ma famille,
Il est 5 heures du matin suite Ă notre jugement de jeudi nous venons dâapprendre la triste nouvelle que jâai encore le courage de vous apprendre.
Nous allons passer devant le peloton dâexĂ©cution dans 2 heures. Mon cher pĂšre et ma chĂšre mĂšre je sais que je vais vous faire de la peine, mais voyez-vous ; pardonnez-moi de vous avoir fait tant de peine.
Maintenant, je vais mourir courageusement.
Maintenant, je vais laisser aussi ma petite chĂ©rie qui va souffrir aussi, mais voyez-vous je compte sur vous pour que vous lui fassiez comprendre quâelle est encore jeune et quâelle peut se refaire sa vie. Surtout il faudra quâelle mâoublie et quâelle se refasse une situation. Le curĂ© vient de passer dans la cellule oĂč il mâa confessĂ© et mâa communiĂ© car jâai voulu mourir sans aller contraire Ă vos pensĂ©es.
Oui je vais mourir avec courage, le plus qui me fait de mal au cĆur câest que je vais vous faire de la peine Ă tous, mais voyez-vous je pense que vous surmonterez tout.
Mon cher pĂšre, ma chĂšre mĂšre, mon frĂšre, mes sĆurs, ma chĂšre fiancĂ©e, ainsi que toute ma famille, et tous ceux qui peuvent parler de moi je vais vous quitter aujourdâhui mĂȘme et pour toujours en vous envoyant pour la derniĂšre fois tous mes meilleurs baisers.
Fernand. »
De son cĂŽtĂ©, Henri Charpentier, du groupe « LibertĂ© » de NeufchĂątel-sur-Aisne, laissera dans lâourlet dâune de ses manches de chemise le mot suivant :
« Ma chĂšre Maman, frĂšres et sĆurs,
Câest le dernier mot que je vous envoie ; nous avons passĂ© devant le tribunal ce matin : Gillant, BĂ©gard, Dussart, Guibald, Virgile [Muteau], Differdange, Liverneau. Soyez courageux et tant quâil y a de la vie, il y a de lâespoir.
Voici le verdict : le tribunal prononce pour chacun de nous la peine de mort.
Jâai Ă©tĂ© trĂšs courageux. Vous pouvez ĂȘtre fiers de moi. Je nâai pas peur de mourir. Nous avons demandĂ© le recours en grĂące. Maintenant il nây a plus quâĂ attendre. On ne sera peut-ĂȘtre pas fusillĂ©.
Prévenez Pol, je suis en cellule avec Bégard, il y a un mot pour sa femme.
Surtout que Maman soit courageuse ; quâelle pense aux deux petits et quâelle soit fiĂšre dâavoir un fils qui va peut-ĂȘtre mourir pour la France.
Je nâai fait que mon devoir, je ne regrette rien. Jâai bien pensĂ© Ă vous ces jours derniers, ainsi quâĂ Papa. Savez-vous oĂč il se trouve ?
Vous embrasserez bien Pol et Denise pour moi, ainsi que toute la famille. Je revois encore les bons moments que nous avons passĂ© ensemble. Jâai bien fait dâen profiter, enfin tout nâest peut-ĂȘtre pas perdu et courage.
Je te quitte ma chĂšre Maman en tâembrassant bien tendrement et pardonne-moi les fautes que jâai commises, car si jâavais su, jâaurais Ă©tĂ© plus gentil avec toi, et vous, mes chĂšres sĆurs, je vous embrasse pour la derniĂšre fois et promettez moi dâĂȘtre gentilles avec Maman. Embrassez bien surtout mes deux petits frĂšres que jâaime tant.
Adieu chers tous, Courage !
Henri ».
LâEXĂCUTION
Quelques heures plus tard, alors que le jour nâest pas encore levĂ© ce samedi 8 avril 1944, les condamnĂ©s sont emmenĂ©s Ă bord dâun camion et prennent les boulevards jusquâĂ la route de Cambrai. ArrivĂ©s au champ de tir de La Sentinelle, ils sont descendus devant les talus, tandis quâun second camion chargĂ© de vingt-sept cercueils pĂ©nĂštre Ă son tour sur le site. Pour une raison inconnue, trois des condamnĂ©s â AndrĂ© Dauriol, Maurice Isart et LĂ©on Roussel â ont Ă©tĂ© graciĂ©s et ne seront pas exĂ©cutĂ©s. RejugĂ©s quelques jours plus tard Ă Laon, ils seront Ă nouveau condamnĂ©s et fusillĂ©s au stand de tir des Blancs-Monts, le 22 avril 1944. Un bandeau est alors proposĂ© aux 27 rĂ©sistants condamnĂ©s Ă mort (le mĂȘme nombre quâĂ ChĂąteaubriant le 22 octobre 1941). DâaprĂšs le rĂ©cit paru dans la presse en 1944 de Pol Charpentier, frĂšre de lâun des fusillĂ©s, il semble que la plupart des condamnĂ©s aient refusĂ© dâen porter un. Puis les exĂ©cutions eurent lieu, quelques condamnĂ©s se voyant achevĂ©s dâune balle de revolver avant dâĂȘtre tous placĂ©s dans les cercueils. EmmenĂ©s au cimetiĂšre du Nord, ils furent placĂ©s dans une fosse tandis que lâabbĂ© Briodin, curĂ© de Remicourt, rĂ©citait une derniĂšre priĂšre pour eux. Dans la journĂ©e, une affiche rouge Ă©tait placardĂ©e sur les murs de Saint-Quentin, comme une mise en garde Ă la population et une tentative de dĂ©nonciation des « crimes » commis par ces rĂ©sistants :
« AVIS IMPORTANT
Les 6 et 7 avril 1944, le Tribunal allemand compĂ©tent a condamnĂ© Ă mort une bande de terroristes pour avoir perpĂ©trĂ© des attentats dans les dĂ©partements de lâAisne et du Nord, depuis lâĂ©tĂ© 1943 jusquâau mois de fĂ©vrier 1944. Ces terroristes ont non seulement commis des actes de sabotage sur les voies ferrĂ©es, les locomotives de chemin de fer et le Canal de lâAisne, ils ont aussi attaquĂ© Ă main armĂ©e les mairies et les fermes de la rĂ©gion.
Ce sont des armes et des explosifs lĂąchĂ©s par des avions anglo-amĂ©ricains quâils ont ramassĂ©s et qui leur ont servi Ă exĂ©cuter leurs attentats, par suite desquels nombre de personnes pour la plupart de nationalitĂ© française ont Ă©tĂ© tuĂ©es ou blessĂ©es. De plus, le secteur Ă©conomique, câest-Ă -dire notamment la population française du pays, a essuyĂ© des pertes dĂ©plorables.
Les arrĂȘts de mort prĂ©citĂ©s ont Ă©tĂ© mis Ă exĂ©cution.
Il y a lieu, Ă cette occasion, de rappeler encore une fois Ă la population civile les graves consĂ©quences auxquelles sâexpose quiconque participe Ă de pareils actes de terrorisme ou bien nĂ©glige dâavertir les autoritĂ©s aussitĂŽt quâil a connaissance dâun attentat, soit effectuĂ©, soit projetĂ©.
Der Feldkommandant. »
LA MĂMOIRE DES FUSILLĂS
DâaprĂšs le rĂ©cit de Pol Charpentier paru dans lâAisne Nouvelle Ă la fin de lâannĂ©e 1944, des milliers de personnes dĂ©filĂšrent devant la fosse recouverte dâun tertre de terre dans les jours qui suivirent, pour y dĂ©poser des fleurs. Craignant que ces hommages se muent en manifestation patriotique, il fut ordonnĂ© la fermeture du cimetiĂšre jusquâau mardi 11 avril. Au mois de mai 1944, les autoritĂ©s allemandes autorisĂšrent cependant les familles Ă exhumer les corps de leurs proches et Ă les ramener dans leurs communes. AprĂšs la guerre, un monument fut Ă©rigĂ© Ă lâentrĂ©e du champ de tir de La Sentinelle et chaque annĂ©e, une cĂ©rĂ©monie du souvenir a lieu Ă la date du 8 avril, pour perpĂ©tuer leur souvenir et honorer leur mĂ©moire.
Cette borne du rĂ©seau dĂ©partemental Aisne Terre de MĂ©moire a elle-mĂȘme Ă©tĂ© inaugurĂ©e le 8 avril 2024, jour du 80e anniversaire de lâexĂ©cution de 27 rĂ©sistants au champ de tir de La Sentinelle.